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Dire adieu à nos biais : apprendre de nos erreurs en vidéo !

Dernière mise à jour : 24 nov. 2023


Par Nina Franiatte & Wim De Neys




Depuis la seconde moitié du 20ème siècle, les travaux effectués dans le cadre des sciences cognitives mettent en avant la vulnérabilité du raisonnement humain aux biais cognitifs et à certaines erreurs de logique.


Mais qu’est-ce qu’un biais cognitif ?


En psychologie, on peut définir un biais cognitif comme une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle. En d’autres termes, lorsque nous raisonnons, il est fréquent que notre cerveau emprunte des « raccourcis » de pensées et s'éloigne des règles logiques, ce qui peut entraîner des erreurs, souvent à notre insu.


Il est important de noter dès à présent que ces raccourcis empruntés par notre cerveau ne sont pas toujours néfastes ! Au contraire, la plupart du temps ils nous sont très utiles car ils nous permettent de raisonner correctement de manière rapide, sans devoir engager un effort cognitif trop important. Mais dans certains contextes particuliers, ces raccourcis n’empruntent pas la voie de la logique, et des biais cognitifs peuvent alors apparaitre !


Une caractéristique étonnante des biais réside dans le fait qu’ils amènent une majorité d’entre nous à se tromper sur les mêmes problèmes, en réalisant les mêmes erreurs. Ils ont une composante universelle : nous nous trompons tous dans la même direction. Lisez par exemple ce problème issu du Test de Réflexion Cognitive de Frédérick (2005) :

« S'il faut 5 minutes à 5 machines pour fabriquer 5 articles, combien de temps faudrait-il à 100 machines pour fabriquer 100 articles ? »

Quelle est la première réponse qui vous vient en tête ?


Si vous avez pensé à « 100 minutes », vous venez de faire comme une majorité de sujets testés en psychologie expérimentale depuis des années : vous vous êtes trompés. Ou plus exactement, vous êtes tombés dans un piège tendu par votre cerveau. Parce que ce dernier est capable de faire des associations très rapidement, il vous a été plus simple de penser dans un premier temps à la réponse « 100 minutes » (100 machines, 100 articles, donc 100 minutes). Or, si l’on prend le temps de décortiquer le problème, il apparaît dans un second temps que la réponse logique et mathématique est plutôt « 5 minutes ». En effet, s’il faut 5 minutes à 5 machines pour fabriquer 5 articles, alors chaque machine fabrique un article en 5 minutes. Ainsi, avec 100 machines travaillant simultanément, le temps nécessaire pour fabriquer 100 articles reste également de 5 minutes. Logique, non ?


Si vous êtes tombés dans le piège, rassurez-vous, vous n’êtes pas seul. Le test de Réflexion Cognitive a été soumis à plus de 3400 sujets américains dans l’étude originale de Frédérick (2005) - dont des étudiants issus des meilleures universités - et très peu ont su répondre correctement à l’ensemble des questions. Depuis, ces résultats ont été reproduits de multiples fois sur un large éventail de sujets, et ils ne cessent de montrer qu’il est très difficile pour une majorité d’entre nous de répondre correctement et rapidement à ce type de problème. En effet, ces derniers ont été conçus de telle sorte que pour parvenir à la bonne réponse, il faut souvent supprimer une première réponse erronée qui nous vient impulsivement à l'esprit.


Mais comment cela se fait-il ?


En psychologie du raisonnement, il est possible d’expliquer cela grâce à la théorie des processus duaux. Cette dernière distingue deux manières de raisonner, souvent décrites sous la forme de deux « systèmes » : les processus rapides et automatiques d’une part (aussi appelé « système 1 » ou intuitif) et lents et délibérés d’autre part (appelé « système 2 » ou délibéré) (Kahneman, 2011). Ainsi, cette première réponse qui vous vient en tête (« 100 minutes » dans l’exemple ci-dessus) serait le résultat de votre intuition, de votre Système 1, tandis que la réponse qui vous vient après avoir réfléchi plus longuement au problème (« 5 minutes ») proviendrait de votre délibération, de votre Système 2. Traditionnellement, la théorie montre que la majorité des erreurs que nous faisons proviennent de notre « Système 1 ». Nous aurions alors besoin de notre Système 2 pour les corriger et fournir une réponse logico-mathématique. Cette vue dans laquelle l’intuition serait la cause de l’erreur et devrait être corrigée par la délibération est appelée la « vue corrective du raisonnement humain ». Elle est soutenue par le fait qu’à ce jour, la propension de personnes qui arrivent à fournir une réponse intuitive correcte lorsqu’elles sont confrontées à des problèmes de raisonnement tels que le Test de Réflexion Cognitive reste relativement faible.


Or, récemment, plusieurs équipes de recherche ont montré qu’il était possible d’entraîner nos intuitions à devenir plus logiques, et ainsi ne plus avoir nécessairement besoin de délibérer pour arriver à la bonne réponse (Boissin et al., 2021, 2022 ; Hoover & Healy, 2017 ; Purcell et al., 2022). C’est un résultat clé dans la compréhension du raisonnement humain puisqu’il signifie que nous serions capables de raisonner à la fois rapidement et correctement, et pourrions donc éviter d’entrer dans un raisonnement plus coûteux en termes de temps et d’énergie dépensée.


Mais comment est-ce possible ?


A travers différentes expériences, des chercheurs ont proposé aux participants de répondre dans un premier temps à des problèmes qui induisent une réponse rapide erronée - comme ceux du Test de Réflexion Cognitive - puis de lire une courte explication de la logique mathématique derrière ces problèmes, et enfin de résoudre une nouvelle série de problèmes similaire. C’est un design assez classique en psychologie, dans lequel une intervention (ici l’explication au problème) est proposée au milieu de l’expérience. Il s’agit ensuite de comparer les réponses données avant et après l’intervention pour évaluer si celle-ci a un impact sur les performances.


A titre d’exemple, dans notre laboratoire, les travaux d’Esther Boissin et de Wim De Neys ont montré que le nombre d’erreurs diminuait drastiquement lorsque l’on expliquait aux sujets testés la réponse typique biaisée donnée par une majorité de personne et le raisonnement à adopter pour arriver à la bonne réponse (pour plus d’informations à sujet, lire Boissin et al., 2021, 2022). Si cela peut vous paraître trivial (j’apprends, donc je me trompe moins), notez que cette explication a permis d’améliorer les performances dès le niveau intuitif. En d’autres termes, à la fin de l’expérience, les participants étaient capables de répondre au problème rapidement et correctement (en utilisant leur « Système 1 »), et n’avait plus besoin d’engager des efforts cognitifs intenses (issus du « Système 2 »). C’est un résultat assez innovant dans le domaine du raisonnement, qui nous ouvre des portes sur les stratégies à mettre en place pour réduire les impacts que nos biais cognitifs peuvent avoir dans différents domaines, de l’école à l’entreprise, en passant par la politique ou la médecine.


Le fait qu’une courte explication textuelle puisse « débiaiser » les sujets est un résultat remarquable. Néanmoins, si cette explication fonctionne sur une majorité de personnes, les études précédents ont également montré qu’il reste toujours un groupe non négligeable de sujets qui ne bénéficient pas de cette explication et restent biaisés. Ainsi, en moyenne, 20% des personnes testées n’ont pas réussi à saisir la logique derrière le problème à la fin de l’expérience. Dans nos travaux de recherche actuels, nous avons donc décidé de nous intéresser à ces personnes biaisées : quelle solution mettre en place pour maximiser leur apprentissage ? Parmi nos pistes de recherche, nous avons récemment proposé un format d’apprentissage plus ludique, en vidéo. Avec l’aide de Toscane Rabearisora et Gabin Carrier (entreprise onepoint), nous avons créé de courtes vidéos - entre 1 et 3 minutes - qui reprennent l’explication utilisée dans les travaux précédents, mais illustrées en stop-motion et expliquées par une voix off. En combinant les modes audio et visuel, nous avons hypothétisé qu’un plus grand nombre de sujets écouteraient et bénéficieraient de l’explication de « débiaisage ». Par exemple, si l’on s’intéresse aux biais dans les opérations mathématiques, voici un exemple de problème que l’on peut présenter aux participants :

« Une pomme et une banane coûtent ensemble 1€40. La banane coûte 1€ de plus que la pomme. Combien coûte la pomme ? »

Alors, quelle réponse donneriez-vous ?


Vous avez pensé à 40 centimes ?


Ce n’est pas tout à fait la bonne réponse… Si vous voulez comprendre pourquoi, faites comme nos participants et regardez cette vidéo :




Dans nos études, nous avons donc remplacé les explications textuelles habituellement utilisées pour des explications en vidéo. Notre objectif était de tester leur efficacité sur trois tâches de raisonnement qui sont connues dans la littérature scientifique pour induire des réponses intuitives fausses : la batte et la balle (Frédérick, 2005), l’erreur de conjonction (Tversky & Kahneman, 1983) et la négligence des taux de base (Kahneman & Tversky, 1973). Pour chacune d’entre elles, nous avons demandé à nos participants de résoudre une série de problèmes, puis de visionner trois courtes vidéos explicatives telle que celle que vous venez de voir, et enfin de résoudre une nouvelle série de problèmes similaire. En parallèle, nous avions un groupe dit contrôle qui devait résoudre les mêmes problèmes mais sans recevoir de vidéos. Le groupe contrôle nous permet d’évaluer l'impact de l'explication sur les performances. Si le groupe ayant visionné les vidéos montre une amélioration tandis que le groupe de contrôle ne présente aucune amélioration, on peut alors suggérer que les vidéos ont un effet positif et aident les participants à raisonner de manière plus efficace. En revanche, si le scénario inverse se produit (le groupe ayant visionné les vidéos ne s'améliore pas, ou si les deux groupes montrent des améliorations similaires), nous ne pourrons pas tirer de conclusions quant à l'efficacité de nos vidéos.


Nos premiers résultats ont montré que si les deux groupes se sont majoritairement trompés au début de l’expérience, le groupe ayant reçu les vidéos s’est ensuite nettement amélioré. En revanche, cette amélioration n'a pas été observée dans le groupe de contrôle, où les participants ne se sont pas (ou peu) améliorés. Ainsi, il semblerait que les vidéos aient permis de rappeler les concepts logiques et d’aider les gens à ne plus se tromper. Plus encore, elles auraient aussi permis de « débiaiser » un plus grand nombre de personnes. En effet, dans nos études, le pourcentage de sujets biaisés à la fin de l’expérience n’était plus que de 10% en moyenne, contre 20% en moyenne avec l’explication texte.


Ces résultats sont intéressants car nous pouvons désormais envisager d’utiliser ces vidéos pour aider plus de sujets à ne plus se tromper, de manière ludique ! Néanmoins, par la suite, il sera également important d’évaluer la robustesse de ces apprentissages sur le long terme. Nous avons ainsi prévu de re-tester nos sujets deux mois après avoir visionné les vidéos, pour vérifier que les effets de cet entraînement se maintiennent dans le temps et aient un réel impact sur les performances de raisonnement. Affaire à suivre !



Références bibliographiques / bibliographical references :

Boissin, E., Caparos, S., Raoelison, M., & De Neys, W. (2021). From bias to sound intuiting: Boosting correct intuitive reasoning. Cognition, 211, 104645.


Boissin, E., Caparos, S., Voudouri, A., & De Neys, W. (2022). Debiasing System 1: Training favours logical over stereotypical intuiting. Judgment and Decision Making, 17(4), 646-690.


Frederick, S. (2005). Cognitive reflection and decision making. Journal of Economic perspectives, 19(4), 25-42.


Hoover, J. D., & Healy, A. F. (2017). Algebraic reasoning and bat-and-ball problem variants: Solving isomorphic algebra first facilitates problem solving later. Psychonomic Bulletin & Review, 24, 1922-1928.


Kahneman, D. (2011). Thinking, fast and slow. New York, NY: Farrar, Straus and Giroux.


Purcell, Z. A., Howarth, S., Wastell, C. A., Roberts, A. J., & Sweller, N. (2022). Eye tracking and the cognitive reflection test: Evidence for intuitive correct responding and uncertain heuristic responding. Memory & Cognition, 1-18.


Tversky, A., & Kahneman, D. (1973). Availability: A heuristic for judging frequency and probability. Cognitive psychology, 5(2), 207-232.


Tversky, A., & Kahneman, D. (1983). Extensional versus intuitive reasoning: The conjunction fallacy in probability judgment. Psychological review, 90(4), 293.





Auteurs :

Nina Franiatte

Doctorante au LaPsyDÉ, Université Paris Cité




Wim De Neys

Directeur de recherche CNRS au LaPsyDÉ, Université de Paris






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