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Les adolescents sont-ils plus vulnérables aux Fake News ?



Comment définir une fake news dans le contexte sociétal actuel ?


L’information selon laquelle l’épreuve de philosophie du baccalauréat 2017 aurait repris une citation de Booba, a rapidement circulé sur les réseaux sociaux jusqu’à figurer dans le journal 19.45 sur M6. Bien qu’amusante, il s’agissait bel et bien d’une infox (1). Si dans le cas de Booba les conséquences ont été minimes, elles ont été nettement plus graves lorsque le Capitol a été envahi par des partisans de Donald Trump suite à la propagation de fake news accusant les élections d’avoir été truquées. Plus largement, la diffusion de fake news sur la santé, la politique ou encore l’écologie peuvent avoir des conséquences néfastes sur les opinions et les comportements que ce soit par exemple sur l’utilisation de traitements médicaux (2) ou l’engagement dans des conduites éco-responsables (3).

Le terme fake news est plutôt récent puisqu’il fait son apparition en 2016 lors de l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.

De même, son équivalent français infox, né de la combinaison des mots « information » et « intoxication », vient d’intégrer le dictionnaire. La traduction française non littérale du terme fake news en infox révèle bien la nécessité de nuancer cette catégorie par rapport au domaine plus général des fausses informations. La définition communément utilisée par les chercheurs décrit une infox comme une information fallacieuse qui se diffuse rapidement et qui est fabriquée avec l’intention de tromper le lecteur. Il existe alors une distinction entre une information erronée involontairement (i.e. mésinformation) et une information délibérément fausse (i.e. désinformation). Bien que la diffusion de fausses informations comme les rumeurs ne soit pas un phénomène récent, la modification du paysage médiatique à l’ère du numérique confère un terrain particulièrement fertile à la diffusion des infox. L’arrivée des réseaux sociaux a eu un effet considérable dans la prolifération de la désinformation. Contrairement à certaines idées reçues, les réseaux sociaux ne constitueraient pas tant une sphère sociale favorisant l’échange de points de vue divergents mais limiteraient plutôt les utilisateurs dans des chambres d’écho ou « bulle de filtre » (4), dans lesquelles les individus échangent des opinions et des idées auxquelles ils adhérent déjà. A l’origine de cet effet, des algorithmes qui facilitent le regroupement de réseaux d’utilisateurs aux idéologies très semblables et qui suggèrent du contenu adapté aux utilisateurs en fonction de leurs préférences. Autrement dit, une infox aura beaucoup plus de chance de circuler au sein de réseaux d’utilisateurs partageant les mêmes idées. Dès lors, ces utilisateurs ont peu de chance de croiser son démenti qui sera relayé sur d’autres communautés moins polarisées. Avec les réseaux sociaux et le numérique de manière plus générale, l’information peut être relayée facilement (e.g. via le partage, les likes, les commentaires) mais aussi créée par n’importe quelle personne ou médias alternatifs sans l’intermédiaire de médias plus traditionnels et de journalistes professionnels.


Qu'apportent les travaux sur la désinformation en psychologie ?


Des chercheurs de multiples disciplines - que soit en sciences de la communication, en politique, en informatique ou encore en psychologie - s’intéressent aux mécanismes sous-tendant ce phénomène de désinformation puisqu’ils relèvent d’enjeux sociétaux importants. Bien que différentes, toutes les disciplines scientifiques œuvrent avec l’objectif commun de proposer des solutions pour endiguer ce phénomène « d’infodémie » à l’échelle planétaire comme le nomme l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).

En psychologie, les recherches sur la désinformation s’intéressent notamment à la multitude de facteurs qui modulent la façon dont les individus perçoivent les informations et plus particulièrement les infox. La capacité à évaluer l’information est généralement mesurée par un score de discernement entre vraies informations et infox présentées dans le cadre d’études expérimentales. Les individus évaluent généralement la véracité d’une série d’informations présentées sous le format typique de réseaux sociaux avec une photo, un titre et une phrase accroche (voir figure 1). Présentée une à une, les participants évaluent la véracité de chaque information selon une échelle de réponse en quatre points allant de « pas du tout vrai » à « tout à vrai » par exemple. Le discernement de l’information est évalué en soustrayant les scores de véracité attribués aux infox par rapport à ceux attribués aux vraies informations. Par conséquent, plus la différence est importante plus le discernement de l’information est bon.


Score de discernement = (score vraies informations – score infox)


Longtemps étudiées sous le prisme de la théorie du « raisonnement motivé » – selon laquelle les individus seraient plus enclins à raisonner de manière à accepter les infox concordantes à leurs croyances préexistantes – les capacités de discernement de l’information seraient davantage expliquées par l’engagement dans des processus délibératifs (i.e. s’engager dans une réflexion permettant de résister à des biais cognitifs). Des études montrent de fait que les capacités de discernement de l’information à l’âge adulte reposent en partie sur des capacités délibératives et de résistance aux biais de raisonnement (5,6). En utilisant des problèmes issus du Cognitive Reflection Test (CRT) (7) - nécessitant de résister à une première réponse intuitive incorrecte - Pennycook et Rand (2019) ont pu mettre en évidence le lien entre la capacité à évaluer l’information et la résistance aux biais de raisonnement.

Prenons l’exemple suivant :

« Dans un pot, il y a un haricot magique. Chaque jour, le haricot double de taille. S'il faut 26 jours pour que le haricot atteigne sa taille définitive, combien de jours faudra-t-il pour que le haricot fasse la moitié de sa taille définitive ? »

Dans ce problème, une majorité de personnes répond rapidement « 13 » car le mot « moitié » est généralement associé l’opération mentale de la division par deux. Néanmoins, le haricot doublant de taille chaque jour, il fera la moitié de sa taille le jour d’avant donc au 25ème jour dans notre exemple.


Ces problèmes illustrent la théorie des deux systèmes de pensée plus connue sous le nom de dual-process theory en anglais et proposé par le prix Nobel d’économie en 2002, Daniel Kahneman (8). Selon cette théorie, il existerait deux systèmes de pensée :

- Le système 1 : automatique, rapide et peu fiable, il nous permettrait d’économiser nos ressources cognitives. Ce système serait à l’origine des réponses heuristiques qui lorsqu’elles nous desservent, donnent lieu à des biais cognitifs (i.e. un schéma de pensée trompeur et faussement logique) comme la réponse « 13 » de notre exemple.

- Le système 2 : analytique, lent et plus fiable, il demanderait davantage de ressources cognitives. Ce système recruterait des régions cérébrales associées au cortex préfrontal, une des régions cérébrales dont la maturation est la plus tardive à l’adolescence.

Le passage du système 1 au système 2 nécessiterait d’activer un troisième système de contrôle cognitif, le système 3, afin de résister à la réponse heuristique avant de résoudre le problème, comme l’illustre les travaux d’Olivier Houdé (9,10). Le système 3 reposerait sur le processus d’inhibition cognitive et jouerait alors un rôle d’arbitrage entre le système 1 et le système 2.

En accords avec ce modèle, dans l’étude de Pennycook et Rand (2019) les participants avec les meilleures capacités de discernement de l’information étaient ceux qui présentaient les meilleurs capacités de raisonnement dans le CRT, que les informations soient concordantes ou non avec leur idéologie politique. La résistance aux biais de raisonnement semble donc être une compétence clé dans la capacité à détecter les infox.


Même si la délibération et la résistance aux biais de raisonnement apparaissent comme des processus fondamentaux dans l’évaluation de l’information et la détection des fake news, la perception des informations - vraies comme fausses - peut être également influencée par d’autres biais. Ainsi, identifié sous le nom d’effet de vérité illusoire (illusory truth effect en anglais), la répétition d’informations augmenterait faussement la perception de la véracité de ces mêmes informations, même dans le cas d’une exposition unique (11). Autrement dit, le simple fait de voir plusieurs fois la même information dans son fil d’actualité, conduit intuitivement à la percevoir comme plus vraie. Dans cette étude, les participants ont effectué une tâche en trois phases :


- Une phase de familiarisation dans laquelle les participants devaient juger leur intérêt envers une série d’informations, en répondant à la question suivante : « à quel point trouvez-vous cette information intéressante ». Les informations présentées dans cette phase (constituées à moitié de vraies informations et d’infox) sont appelées : « informations familières ».

- Une phase de distraction durant laquelle les participants répondaient à des questions socio-démographiques (e.g. âge, sexe) afin de marquer un temps de pause entre la phase de familiarisation et la phase d’évaluation.

- Une phase d’évaluation où les participants évaluaient la véracité d’un ensemble d’informations, des informations nouvelles et les informations familières (i.e. celles précédemment vues dans la phase de familiarisation), chaque catégorie étant composée de vraies informations et d’infox en proportion équivalente.


Les résultats révèlent que les informations (vraies comme fausses) auxquelles les participants ont été préalablement exposés, sont perçues comme plus vraies que les nouvelles information. Cet effet de vérité illusoire s’applique autant aux informations politiquement concordantes que discordantes à l’idéologie des participants et persiste jusqu’à une semaine après la première exposition. Au-delà d’augmenter à tort la véracité d’une information, l’impact de cet effet semble d’autant plus inquiétant étant donné que les chambres d’échos favoriseraient la répétition d’informations similaires.

En plus de s’intéresser aux facteurs et mécanismes psychologiques qui interviennent dans l’évaluation d’une information, certaines études en psychologie s‘interrogent aussi sur les différentes façons de lutter contre la désinformation.

Des cellules de fact-checking visant à démystifier les infox (debuncking en anglais) fleurissent au sein des organes de presse réputés, « Les décodeurs » pour Le Monde, « afp factuel » pour l’Agence Presse France en sont des exemples des plus notables. Pour autant l’efficience de ces méthodes fait débat dans la littérature notamment par l’existence d’effets contreproductifs (12). Une étude révèle par exemple que les infox qui ne sont pas labelisées comme telles dans un ensemble d’informations vraies et fausses labelisées comme telles ont tendance à être perçues comme vraies par rapport aux mêmes informations présentées dans un contexte où aucun label n’est associé aux informations (effet de vérité implicite, implied truth effect en anglais). Cet effet est particulièrement problématique car il entraine un risque que des infox soient perçues comme vraies tant qu’elles ne sont pas identifiées comme fausses, dans un contexte où le travail des journalistes peut difficilement concurrencer la vitesse à laquelle les infox sont générées (13).


Pourquoi étudier la sensibilité des adolescents aux fake news ?


Si les mécanismes en jeu dans l’évaluation de l’information sont étudiés depuis quelques années chez l’adulte, aucune étude ne s’est intéressée à cette capacité chez les adolescents alors même qu’ils sont exposés aux informations de manière quotidienne et qu’ils sont des utilisateurs des réseaux sociaux. Au laboratoire, nous étudions la sensibilité des adolescents aux infox en essayant de comprendre comment cette sensibilité se développe avec l’âge. Comme vu précédemment, les études chez l’adulte montrent que les capacités d’évaluation de l’information reposent en partie sur des processus de raisonnement analytique et de résistance aux biais cognitifs. Or l’adolescence est une période particulière du développement cognitif durant laquelle la résistance aux biais cognitifs se développe (14) et où le cortex préfrontal – connu pour être impliqué dans le raisonnement, les fonctions exécutives et la pensée critique – n’a pas encore fini sa maturation (15). Ces spécificités développementales associées à une hypersensibilité émotionnelle pourrait conférer aux adolescents une forme de « vulnérabilité cognitive » lorsqu’il s’agit de détecter une infox. Une première étude menée au laboratoire dans le cadre du projet ANR (Agence Nationale de la Recherche) Fake-Ad, porté par Grégoire Borst et Mathieu Cassotti, nous a permis de d’aborder deux problématiques :

1- Comprendre comment se développe la détecter les infox et si cette capacité est liée à la résistance aux biais de raisonnement.

2- Identifier, si comme les adultes et les enfants (16), les adolescents sont influencés par l’effet de vérité illusoire

Pour répondre à ces deux questions, nous avons mis en place une première étude avec des élèves de collège (6ème, 5ème, 4ème, 3ème) et des adultes en reprenant un design expérimental similaire à celui utilisé dans l’expérience sur l’effet de vérité illusoire. Les participants ont effectué une tâche d’évaluation de l’information en trois phases (familiarisation, distraction et évaluation) suivi des problèmes du CRT.


Figure 1. Exemple d’items utilisés dans l’expérience (vraie information à gauche, infox à droite). Les vraies informations ont été trouvées sur des sites de médias classiques alors que les infox ont été collectées sur des sites de fact-checking comme afp-factuel (Agence France Presse) ou les décodeurs (Le monde). L’association entre la source et le contenu est fictive et contrebalancée dans l’expérience afin de neutraliser son effet sur le jugement de véracité des informations.


Cette première étude nous a permis de comprendre que la capacité à détecter les infox se développe avec l’âge et que cette relation serait en partie expliquée par le développement des capacités de résistance aux biais cognitifs. Dans la phase d’évaluation, les informations familières, quelles soient vraies ou fausses, sont toujours perçues comme plus vraies que les informations nouvelles et cet effet est le même quel que soit l’âge des participants. Les adolescents sont donc tout aussi sensibles à la familiarité des informations comme les enfants et les adultes.

Dans le cadre du projet ANR Fake-Ad, le laboratoire mène une série d‘études pour mieux comprendre les compétences cognitives et socio-émotionnelles qui sous-tendent le développement progressif de la capacité à évaluer l’information au cours de l’adolescence. Sur la base de ces résultats, l’enjeu est de pouvoir créer en collaboration avec des enseignants un ensemble de ressources pédagogiques pour aider les adolescents à mieux évaluer les informations (thèse de Maria Ghazi en partenariat avec Léa.fr, éditions Nathan) . En parallèle, le projet vise aussi à étudier les différences interculturelles de cette capacité à évaluer les informations (thèse de Steeven Ye en partenariat avec Ipsos).



Pour compléter cet article :



Références :


[2] Loomba S, de Figueiredo A, Piatek SJ, de Graaf K, Larson HJ. Measuring the impact of COVID-19 vaccine misinformation on vaccination intent in the UK and USA. Nat Hum Behav. 2021 Mar 1;5(3):337–48.


[3] van der Linden S, Leiserowitz A, Rosenthal S, Maibach E. Inoculating the Public against Misinformation about Climate Change. Global Challenges 2017, 1, 1600008.


[4] Pariser E. The Filter Bubble: What The Internet Is Hiding From You. Penguin Books. 2011


[5] Bago B, Rand DG, Pennycook G. Fake news, fast and slow: Deliberation reduces belief in false (but not true) news headlines. J Exp Psychol Gen. 2020 Aug 1;149(8):1608–13.


[6] Pennycook G, Rand DG. Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition. 2019 Jul 1;188:39–50.


[7] Frederick S. Cognitive Reflection and Decision Making. Journal of Economic Perspectives. 2005;19(4):25–42.


[8] Kahneman, D. (2011). Thinking, fast and slow. Farrar, Straus and Giroux.


[9] Houdé O, Borst G. Evidence for an inhibitory-control theory of the reasoning brain. Front Hum Neurosci. 2015 Mar 23;9(MAR):148.


[10] Houdé O. Inhiber pour raisonner : le système 3 (exécutif). Le raisonnement. 2018;72–105.


[11] Pennycook G, Cannon TD, Rand DG. Prior exposure increases perceived accuracy of fake news. J Exp Psychol Gen. 2018 Dec 1;147(12):1865–80.


[12] Pennycook G, Bear A, Collins ET, Rand DG. The implied truth effect: Attaching warnings to a subset of fake news headlines increases perceived accuracy of headlines without warnings. Manage Sci. 2020 Nov 1;66(11):4944–57. *


[13] Zhang X, Ghorbani AA. An overview of online fake news: Characterization, detection, and discussion. Inf Process Manag. 2020 Mar 1;57(2).


[14] Toplak ME, Flora DB. Resistance to cognitive biases: Longitudinal trajectories and associations with cognitive abilities and academic achievement across development. J Behav Decis Mak. 2021 Jul 1;34(3):344–58.


[15] Achterberg M, Peper JS, van Duijvenvoorde ACK, Mandl RCW, Crone EA. Frontostriatal White Matter Integrity Predicts Development of Delay of Gratification: A Longitudinal Study. The Journal of Neuroscience. 2016 Feb 2;36(6):1954.


[16] Fazio LK, Sherry CL. The Effect of Repetition on Truth Judgments Across Development. Psychol Sci. 2020 Sep 1;31(9):1150–60.



Auteurs :

Marine Lemaire

Doctorante au LaPsyDÉ, Université Paris Cité



Mathieu Cassotti

Professeur de psychologie du développement, LaPsyDÉ, Université Paris Cité



Grégoire Borst

Directeur du LaPsyDÉ & Professeur de Psychologie du développement et de Neurosciences cognitives de l'éducation, Université Paris Cité



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