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Plasticité cérébrale, environnement socio-économique et apprentissages


L’apprentissage est un mécanisme complexe, impliquant une multitude de facteurs à différents niveaux. On oppose souvent les facteurs socio-économiques aux facteurs neurobiologiques. Pourtant, les travaux actuels montrent que ces facteurs sont en réalité beaucoup plus liés que ce que l’on pourrait croire. Les recherches en imagerie cérébrale ont en effet mis en évidence une propriété fascinante du cerveau, sa capacité à adapter sa structure et son fonctionnement en réponse aux exigences de l’environnement, en particulier socio-économique. Ce mécanisme adaptatif du cerveau, appelée plasticité cérébrale ou neuroplasticité, joue un rôle très important dans le développement mais aussi l’apprentissage.


La plasticité cérébrale, c’est quoi ?


Plasticité vient du grec “plastos” qui signifie la capacité à être malléable, façonnée, comme la terre du potier dans son tour. Cette idée que l'expérience peut modifier la structure du cerveau n’est pas nouvelle. Ramon y Cajal, prix Nobel pour ses travaux sur la structure du système nerveux, le suggérait déjà en 1928. Les preuves de ce phénomène, les détails des changements qui se produisent dans le cerveau et les mécanismes associés, ont été très largement documentés au cours des 30 dernières années. En effet, le développement des méthodes d’imagerie cérébrale, comme l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) anatomique et fonctionnelle, permettent maintenant de suivre de manière non invasive les changements du cerveau au niveau anatomique et fonctionnel, lors du développement et lors d’apprentissages.


Il existe différents types de plasticité cérébrale. D’abord, la plasticité « attendue par l’expérience » est un phénomène prédéfini au niveau biologique et commun à tous les individus. Un bon exemple est le développement de la vision : le cerveau peut combiner des informations visuelles provenant des deux yeux pour développer la vision en relief. C’est un phénomène similaire pour le développement du langage. Dès la naissance, le cerveau est capable d’extraire des informations pertinentes du flux sonore mais il aura besoin d’être placé dans un bain linguistique pour pouvoir développer des compétences langagières. Il y a également la plasticité « dépendante de l'expérience ». La structure du cerveau et son fonctionnement sont façonnés par les différentes informations et expériences de vie de l’individu. Ces changements cérébraux sont spécifiques à chaque individu et changent d’un individu à l’autre, en fonction notamment de l’environnement familial, socio-économique et culturel.


Le cerveau est plastique durant toute la vie

Il existe néanmoins des périodes pendant l’enfance et l’adolescence durant lesquelles la plasticité cérébrale est particulièrement importante. Lors de ces périodes dites « sensibles » ou « critiques », un événement ou une stimulation aura plus d'impact qu'à tout autre moment du développement. Cela explique par exemple pourquoi, il est plus facile, d’apprendre une nouvelle langue quand on est enfant que lorsque l’on est adulte. De la même manière, les compétences sociales se développent beaucoup à l’adolescence, en rapport avec la maturation tardive des régions cérébrales impliquées dans la cognition sociale.


L’importance de la plasticité cérébrale pour les apprentissages


Le fait que le cerveau s’adapte à son environnement, qu’il se transforme à la suite d’apprentissages ou d’expériences et qu’il peut être reconfiguré à tous les âges est une découverte fondamentale dont les retombées dans le domaine de l’éducation sont importantes. Cette découverte suggère notamment que l’environnement socio-économique peux façonner le cerveau et avoir un effet sur la manière dont il fonctionne.

Une étude chez 54 000 participants âgés de 4 à 97 ans, coordonnée par Kristine Walhovd de l’Université d’Oslo en Norvège a montré que l’environnement socio-économique a un effet sur l’anatomie du cerveau chez l’enfant et l’adolescent, et dans une moindre mesure, chez l’adulte. Un point important est que cet effet est différent aux USA et en Europe, suggérant que l’environnement culturel pourrait compenser dans une certaine mesure les effets de l’environnement socio-économique.


Des travaux récents suggèrent que l’environnement socio-économique pourrait également influencer la manière dont le cerveau se développe. Une hypothèse est que le cerveau se développerait plus vite pour s’adapter aux environnements exigeants, comme par exemple un environnement socio-économique défavorisé. Le cerveau serait ainsi mature plus rapidement. Cette maturation cérébrale accélérée serait associée à un raccourcissement de la période de forte plasticité cérébrale durant l’enfance et l’adolescence.


Une question importante pour les apprentissages est de savoir si les mécanismes de plasticité cérébrale sollicités durant le développement du cerveau sont les mêmes que ceux impliqués lors d’un apprentissage. Pour répondre à cette question, nous menons actuellement une recherche au laboratoire pour étudier l’effet de l’environnement socio-économique sur la plasticité du cerveau lors d’un apprentissage. Dans le cadre du projet APEX (APprentissage Exécutif), coordonné par les Profs. Grégoire Borst, Arnaud Cachia et Olivier Houdé, nous avons acquis des IRM du cerveau d’enfants de 9-10 ans et d’adolescents de 16-17 ans avant et après un entrainement cognitif de 5 semaines sur tablette tactile. Nous pouvons mesurer la plasticité cérébrale à partir des changements de l’anatomie et du fonctionnement du cerveau consécutifs à cet entrainement cognitif. Les premières analyses sur les IRM avant l’apprentissage confirment que le niveau socio-économique des parents a bien un effet sur l’anatomie du cerveau de leurs enfants, comme l’ont montré de nombreuses études auparavant. Mais il semble que le niveau socio-économique a également un effet sur la plasticité cérébrale observée lors de l’apprentissage de nouvelles compétences.

Pour autant l’effet du niveau socio-économique sur le cerveau et la plasticité cérébrale relèvent d’observations très générales et ne reflètent pas certaines particularités familiales ou environnementales qui peuvent être des facteurs protecteurs vis-à-vis de l’effet de l’environnement socio-économique sur le cerveau en développement.

Changer la représentation de l’intelligence et de l’apprentissage


Si l’environnement socio-économique a un effet sur le cerveau, il a également un effet sur la représentation que se font les élèves de leur cerveau et de leurs capacités d’apprentissage. Par rapport aux élèves avec un niveau socio-économique élevé, les élèves issus de milieux défavorisés ont en effet tendance à avoir une vision plus « fixiste » de l’intelligence, c’est-à-dire avec peu de possibilité de changement. L’enseignement du concept de neuroplasticité, qui montre que le cerveau peut être sculpté par l’éducation et la culture et qui montre que rien n’est joué d’avance, peut changer cette représentation erronée. C’est ce que montre une méta-analyse de Jérémie Blanchette Sarrasin de l’Université du Québec à Montréal publiée en 2021. Ce type d’intervention fonctionne particulièrement bien chez les enfants avec un faible niveau socio-économique. En retour, leur motivation est améliorée ainsi que leur réussite scolaire.


Un des grands enjeux actuels de la recherche est maintenant de réussir à articuler les différents niveaux de description, sociologiques, psychologiques et biologiques. Une telle approche globale, qui articule les différentes conceptions du fonctionnement psychique et prend en compte la pluralité des points de vue scientifiques et disciplinaires, est cruciale. Car elle peut permettre d’intégrer les facteurs multiples et interdépendants intervenant dans l’apprentissage des enfants, et ainsi l’améliorer.




Références :


[1] Tooley, U. A., Bassett, D. S., & Mackey, A. P. (2021). Environmental influences on the pace of brain development. Nature Reviews Neuroscience, 22(6), 372-384.


[2] Walhovd, K. B., Fjell, A. M., Wang, Y., Amlien, I. K., Mowinckel, A. M., Lindenberger, U., ... & Brandmaier, A. M. (2022). Education and income show heterogeneous relationships to lifespan brain and cognitive differences across European and US cohorts. Cerebral cortex, 32(4), 839-854.


[3] Sarrasin, J. B., Nenciovici, L., Foisy, L. M. B., Allaire-Duquette, G., Riopel, M., & Masson, S. (2018). Effects of teaching the concept of neuroplasticity to induce a growth mindset on motivation, achievement, and brain activity: A meta-analysis. Trends in neuroscience and education, 12, 22-31.





Auteurs :

Julia Mathan

Doctorante au LaPsyDÉ, Université Paris Cité



Arnaud Cachia

Professeur de Neurosciences Cognitives, LaPsyDÉ, Université Paris Cité





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