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A la croisée des sciences et des arts : interview avec Quentin Delépine




Cette année, nous avons accueilli Quentin Delépine, un metteur en scène, pour une résidence d’écriture. Autrement dit, le laboratoire a accueilli Quentin Delépine afin qu’il puisse avancer dans ses projets d’écriture. Durant son séjour au LaPsyDÉ, les chercheurs et chercheuses du laboratoire ont pu échanger avec lui autour de sujets passionnants comme les liens entre les sciences et les arts. Pour comprendre les enjeux de sa visite au laboratoire l’équipe du 21 l’a interviewé pour vous.


Peux-tu te présenter ?


Je m’appelle Quentin Delépine, je suis metteur en scène, je me spécialise aujourd’hui en arts et sciences après avoir travaillé pendant huit ans en tant que professionnel dans le milieu de l’opéra. Aujourd’hui et depuis maintenant quatre ans j’ai un objet d’étude artistique : le vertige - comprendre l‘état de vertige associé aux idées vertigineuses - que j’ai défini pour l’instant comme étant l’état particulier dans lequel on se retrouve quand on perd ses repères.


Cet objet d’étude est venu d‘une réflexion sur ce qui m‘anime en tant qu‘artiste, ce que je cherche à vivre et à transmettre comme expérience de spectateur. Pendant la pandémie de COVID 19, j’ai commencé à organiser avec l‘appui de chercheurs que j’ai rencontrés sur des productions d‘opéra où ils participent en tant que bénévoles, ce que j’appelle des “bulles d’oxygène”. On s‘est réuni en visioconférence, avec des chercheurs en mathématiques, en astrophysique, en psychologie, des philosophes, des jeunes médecins, des enseignants de tous les niveaux aussi bien en public qu’en privé, et des artistes de toutes sortes (artistes en langue des signes française, comédiens, metteurs en scène, danseurs etc.). En fait, il s’agissait de réunir tous les gens avec qui j’avais envie de discuter, que j’avais envie de rencontrer.


Ces rencontres se sont tellement bien passées qu‘elles ont donné lieu à une première étude scientifique avec des chercheuses du laboratoire ERCAÉ (psychologie et sciences de l’éducation). Nous avons fait un questionnaire qualitatif dont les résultats sont récoltés, analysés et en attente de publication. L’objectif de cette étude était de voir si nous retrouvions des occurrences du mot vertige ou des descriptions d’états émotionnels correspondant à notre définition, dans le récit que se faisaient les gens à l’annonce du confinement, pendant le confinement puis pendant le déconfinement.

J‘ai été surpris d‘apprendre que c‘est la période de déconfinement qui apparaît comme la plus associée à cet état de vertige sur le panel des personnes interrogées.

Enthousiasmés par cette dynamique, nous avons créé une association “Agence Vertiges” dans laquelle nous proposons des formations à la médiation scientifique et à la prise de parole, des workshops permettant d‘être au cœur de la création, ces fameuses bulles d’oxygène ainsi que des créations de spectacles, de conférences interactives inspirés de la rencontre entre sciences, arts et pédagogie.



Comment t’es venu cette idée de travailler avec des chercheurs ?


Tout petit déjà j’étais intéressé par les sciences. Je voulais être paléontologue, astronome-physicien, inventer la téléportation ! Ces dernières années j’ai été amené à effectuer des formations avec l’INSPE, dans des collèges, des lycées et à l’Université sur la prise de parole et la médiation scientifique. Un peu après avoir effectué ces formations, je me suis rendu compte que j’avais effectué - sans en être vraiment conscient - de la recherche exploratoire sur la prise de parole et les outils que l’on peut utiliser pour l‘enseigner.


Depuis un an et demi c‘est devenu très concret, par exemple j’ai exploré des techniques utilisées en thérapies brèves pour la régulation émotionnelle : hypnose, thérapie cognitive comportementale, réification cognitive. J’ai construit des traductions concrètes à l’échelle d’un groupe d’apprenants de plusieurs stratégies (suggestion, ancrage, réification du stress, cognition incarnée). Pour faire ça j’ai travaillé avec un hypnothérapeute et avec les enseignants et chercheurs de l‘Agence Vertiges. Aujourd‘hui je découvre que cette démarche entre dans le champ des recherches collaboratives, c‘est très nouveau pour moi mais c‘est passionnant. C’est passionnant de découvrir que le travail de cet hypnothérapeute est proche du mien dans sa façon de concevoir la fiction, l’imaginaire, l‘accompagnement de ce qui est pour lui un client, pour moi un acteur.

Que les enseignants se sentent souvent actrice, acteur, pendant leur cours, que les chercheurs vivent des processus créatifs équivalents à ceux que je connais dans mon métier.

En fait je me sens bien avec les chercheurs, à ma place, je crois que c‘est aussi simple que ça. Et puis j’y gagne beaucoup dans ma pratique. En novembre dernier je suis allé faire un colloque scientifique en Tunisie, le forum citoyen international sur la citoyenneté qui portait sur la place de l’apprenant dans le système éducatif. Ce colloque a changé ma vision de la pédagogie. Depuis longtemps je travaille à me rendre disponible aux besoins de chacun, plus qu‘à structurer l’intervention en avance. J‘en ressentais une forme de honte, de sentiment d‘illégitimité, d‘être un peu mauvais élève par cet aspect. J‘ai compris, pendant ce forum, pourquoi je suis allé intuitivement vers ce fonctionnement. C’est spécifique à mon travail et ça n’est sans doute pas vrai pour d’autres types d’enseignements, c‘est que l‘art oratoire demande une grande adaptation à l‘état émotionnel immédiat des apprenants. Je dois convoquer leur motivation malgré des différences interindividuelles immenses, d‘implication, de compétence, de sentiment d‘efficacité personnelle. En fait, mon approche est celle d‘un metteur en scène avec sa troupe, je travaille au présent, avec le réel, je construis la complicité, je donne la direction avec un regard frais, moins structuré, plus immédiat et instinctif. Ce manque de cadre que j‘ai longtemps perçu est en fait un levier motivationnel qui amène de la nouveauté dans le parcours de l‘apprenant, c‘est un plus. La prochaine étape sera de trouver comment amener malgré tout davantage de structure sans perdre ce levier. Au LaPsyDÉ je découvre plein de nouvelles pistes pour continuer l‘exploration !


Pourquoi as-tu souhaité effectuer cette résidence en écriture au LaPsyDÉ ?


J’ai assisté à une conférence de Grégoire Borst sur les neuromythes. Dans mon esprit, Grégoire Borst, et plus généralement le LaPsyDÉ, a émergé comme la référence de confiance en ce qui concerne la recherche en psychologie du développement, en sciences cognitives, et en neurosciences. Lorsque je me pose des questions sur ces sujets, je regarde ce qu’en dit le LaPsyDÉ avant de me forger une opinion. J’ai eu l’occasion de retrouver Grégoire dans un collège adhérent de mon association. Je lui ai demandé alors s’il était possible de faire une résidence d’écriture au LaPsyDÉ sans raison particulière, simplement pour découvrir de l’intérieur ce qu’est le laboratoire, et pour rencontrer des gens.

À ce moment, je me questionnais sur la place de mon association dans le monde scientifique, pédagogique et artistique.

J’avais le choix entre venir avec une liste de questions auxquelles je souhaitais répondre, ou bien avoir la même démarche que pendant mes cours, c’est-à-dire me rendre disponible.


L’objet de ma visite au LaPsyDÉ est devenu un travail autour de la question de la rencontre. Comment fait-on pour se rencontrer ? J’essaie de faire des liens entre mes réflexions, mes observations et les données scientifiques. Je m’intéresse aux ressentis que provoquent les rencontres mais aussi à des questions linguistiques comme les marqueurs de modestie épistémique pour favoriser l’authenticité de la rencontre par exemple. On construit des précédents sous la forme de ce qu'on appelle des rencontres, on fabrique de la relation dans un geste qui pour moi est un geste artistique. Ce que je mets derrière artistique, c'est quelque chose qui est beau et inutile. Il n'y a pas besoin de plus que ça, il n’y a pas nécessairement besoin de connaissances, ni de production. C'est beau, c'est inutile : on le range dans la catégorie de l'art. Et ce n'est pas inutile au sens négatif, c'est dans le sens où on ne peut pas l'utiliser, juste le vivre.


Que vas-tu retenir de cette résidence en écriture ?


Je repars en ayant resserré mon objet d‘étude sur un vertige particulier, le moment de la rencontre. Je crois que j‘aimerais produire une traduction concrète de ce que j'ai vécu ici, c'est-à-dire faire un spectacle où le public puisse vivre une rencontre. Qu'est-ce que ça veut dire ? Comment est-ce qu'on construit ça ? Et comment est-ce qu'on pousse le curseur un peu plus loin que ce qui se fait déjà et qui fonctionne déjà très bien ? En stand-up par exemple on construit des références communes pour fabriquer cette complicité, au début ce sont juste des blagues, et puis petit à petit, ça devient des références à des blagues. Des références communes. La preuve qu‘on est en train de vivre la même chose, qu’on est ensemble. Mais quels autres mécanismes vont entrer en ligne de compte ? Comment construire les étapes d'écoute, de silence, d‘échanges de mots, d‘échanges d‘idées, d‘échanges de regards qui vont nous faire vivre la rencontre ? Voilà les questions qui m‘occupent maintenant.


Un dernier mot ?

Mon ambition, c'est que l’association, l‘Agence Vertiges, devienne un laboratoire de recherche de pratiques hybrides : artistique, pédagogique et scientifique. J'ai envie que la structure soit reconnue pour qu'on puisse avoir les moyens d’effectuer ce travail de recherche et d’avoir un impact au niveau de la société.


C‘est le début, mais c’est bien parti, avec les laboratoires INEM et ERCAÉ nous avons obtenu un financement de l‘université d‘Orléans (BQR-UO 2023) pour le projet R&SpIRE (Recherche participative & Spectacle vivant : Interactions et Rôle des Émotions dans l’appropriation d’un message scientifique). Le projet amènera notamment des élèves à construire un spectacle art & science avec moi, après avoir rencontré une chercheuse ou un chercheur de l‘INEM. Donc au fond, leur faire traverser ce que j‘ai eu la chance de vivre ici, en venant au LaPsyDÉ.






Auteurs :


Quentin Delépine

Metteur en scène, agence Vertiges







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