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Apprendre la musique seul ou en groupe change-t-il quelque chose pour notre cerveau ?


Nous sommes aujourd’hui le 21 juin, jour de fête de la musique en France. La musique a sa fête, la musique se célèbre et se célèbre ensemble. Mais pourquoi la musique est-elle si importante dans nos vies et pourquoi semble-t-elle favoriser une telle sociabilité ? Que nous disent les sciences cognitives sur ce lien si fort que nous entretenons avec la musique ?


Au cours des dernières décennies, de nombreuses études de neurosciences cognitives se sont intéressées à l’impact de l’apprentissage de la musique sur les individus, étant donnée la multiplicité des capacités, compétences et aptitudes qu’elle met en œuvre, comme le contrôle moteur, l’attention sélective et soutenue, la mémorisation, ou encore l’expression émotionnelle. Deux des premières études faisant date à ce sujet ont eu lieu dans les années 1990 [1][2] lorsque des chercheurs ont observé, pour la première fois, que la surface de certaines zones du cerveau était plus développée chez des adultes musiciens professionnels par rapport à celles d’adultes non-musiciens. De cette découverte majeure a découlé un nouveau questionnement, celui de l’origine de tels effets cérébraux : sont-ils causés par la pratique musicale ou ces différences sont déjà là, prédisposant à s’engager ou exceller dans la pratique musicale ? Pour répondre à ces questions, il a fallu mettre en place des études longitudinales dans lesquelles les chercheurs observent le cerveau des enfants à plusieurs reprises au cours de leur apprentissage musical. Ces études révèlent, par exemple, que l’anatomie du cerveau des enfants de 6 ans se modifie au cours de l’apprentissage de la musique. C’est notamment le cas pour le volume du cortex moteur primaire, du corpus calleux et du cortex auditif primaire et ce après 15 mois de pratique musicale [3]. D’autres études se sont intéressées, quant à elles, aux effets cognitifs de l’apprentissage de la musique, en particulier, au développement des fonctions exécutives. Ces fonctions désignent une famille de processus de haut niveau, engagés dans des contextes où nous ne pouvons pas nous en remettre à nos automatismes, nos réflexes, nos intuitions ou notre instinct pour atteindre nos objectifs. Mobiliser ces fonctions exécutives s’avère couteux pour notre cerveau, ce qui explique notre tendance à utiliser spontanément nos routines et nos automatismes, moins gourmands en ressources cognitives, et ce y compris dans des situations où ils ne sont pas adaptés [4]. Il existe trois fonctions exécutives principales dans notre cerveau : la mémoire de travail, l’inhibition et la flexibilité cognitive. Sur la base de ces trois fonctions exécutives se construisent les fonctions exécutives de plus haut niveau : la planification, la résolution de problèmes et le raisonnement [5]. Des chercheurs ont voulu observer ces fonctions dans le cadre musical. Dans une étude en particulier [6], ils ont suivi pendant 2 ans et demi, quatre groupes d’enfants (deux faisant de la musique – l’un dans lequel les enfants avaient des connaissances musicales préalablement à la formation musicale proposée dans le cadre de l’étude et l’autre dans lequel les enfants n’en avaient pas – un troisième suivant une formation d’arts visuels et le quatrième ne faisant aucune activité extra-scolaire). Les chercheurs ont mesuré avant et après les formations, les compétences verbales, visuospatiales et exécutives des enfants. Cette étude révèle que la pratique musicale développe, chez les enfants, leurs compétences exécutives (inhibition et planification) et verbales, alors que la pratique des arts visuels semble développer les compétences visuospatiales.


Dans d’autres études, les chercheurs ont aussi voulu évaluer l’effet d’une activité musicale en groupe sur les compétences sociales (altruisme et coopération) des enfants [7] . Chez des enfants de 4 ans et demi déjà, ceux qui sont engagés dans une activité de synchronisation musicale (groupe musique) juste avant les mesures effectuées par les chercheurs ont tendance, après cette activité, à être plus coopératifs dans une tâche de résolution de problème que les enfants d’un groupe contrôle (activité de groupe sans synchronisation musicale). Il semble donc que la pratique musicale en groupe puisse contribuer à favoriser des comportements prosociaux chez les enfants même très jeunes.


Les études visant à explorer l’impact de la musique sur les compétences cognitives et socio-émotionnelles sont de plus en plus nombreuses et suggèrent que la pratique musicale peut constituer un vrai levier pour accompagner le développement de celles-ci (voir Hallam, 2015 pour une revue). Elles se fondent essentiellement sur les enfants apprenant ou ayant appris la musique seuls, mais aussi, plus rarement sur les enfants apprenant la musique en groupe. Cependant, aucune étude ne s’est encore intéressée à l’impact spécifique sur ces compétences d’un mode d’apprentissage collectif par rapport à un apprentissage individuel de la musique.


C’est précisément ce que nous étudierons au LaPsyDÉ dans le cadre d’une thèse CIFRE avec le programme Démos de la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris qui a pour objectif de proposer un apprentissage collectif de la musique à des enfants résidant dans les Quartiers Prioritaires de la Ville ou des Zones de Revitalisation Rurale, où ils sont éloignés d’un accès à l’éducation artistique et culturelle en raison de facteurs économiques ou d’éloignement géographique des structures culturelles. Les enfants participant à ce programme ont entre 7 et 12 ans. Ils pratiquent la musique en petits groupes de 15, deux fois par semaine et se réunissent aussi en orchestre complet toutes les 6 semaines. C’est donc ensemble qu’ils apprennent à jouer et s’écouter. Dans ce projet de recherche, nous suivrons, sur plusieurs années, trois groupes d’enfants : l’un suivant une formation musicale en collectif dans le cadre du programme Démos ; l’autre suivant une formation musicale en individuel, dans le cadre des conservatoires de musique ; un troisième ne suivant aucune formation musicale et étant composé d’enfants pouvant par ailleurs suivre d’autres activités extra-scolaires, parfois socialisantes, comme le sport en collectif. L’objectif, auprès de ces trois groupes, est d’observer le développement de trois types de compétences : des compétences cognitives d’ordre musical, comme la perception des différences de rythmes, de tempi, de timbres ou encore de mélodies ; des processus exécutifs qui pourraient être engagés dans l’acquisition de ces compétences musicales, comme l’inhibition ou l’attention auditive sélective ; et des compétences d’ordre sociocognitif, comme la coopération et la capacité à interagir avec des membres d’un exogroupe notamment. Afin d’observer l’effet de l’apprentissage collectif de la musique (orchestre) par rapport à un apprentissage individuel de la musique, nous évaluerons ces compétences de manière la plus objective possible à plusieurs reprises en utilisant une approche dite longitudinale accélérée. Ces compétences seront mesurées tous les 6 mois pendant deux ans, dans deux cohortes d’enfants. L’une, à l’entrée dans le dispositif Démos et l’autre à son entrée en troisième année dans le programme. Cela permettra en deux ans d’évaluer l’effet de trois ans de pratique collective de la musique.


D’ici quelques années, nous serons en mesure de présenter les premiers résultats de cette étude ambitieuse ! Ils pourraient avoir des retombées intéressantes en termes d’apprentissages, d’effets de la musique sur les compétences sociales et d’impact d’une telle formation pour contrer les inégalités socio-économiques et culturelles.


Pour aller plus loin :

- Hallam, S. (2015). “The Power of Music” [en ligne] Music Education Council. disponible

http://www.dickhallam.co.uk/resources/The%20Power%20of%20Music%202014.pdf

- Peretz, I. (2018). Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences. Odile Jacob


Références :

[1] Elbert T, Pantev C, Wienbruch C, Rockstroh B, Taub E. 1995 Increased cortical representation of the fingers of the left hand in string players. Science. 270, 305–307. [2] Pantev C, Oostenveld R, Engelien A, Ross B, Roberts LE, Hoke M. 1998 Increased auditory cortical representation in musicians. Nature 392, 811–814. [3] Hyde, K.; Lerch, J.; Norton, A.; Forgeard, M.; Winner, E.; Evans, A.C.; Schlaug, G. Music and structural brain development. The Neurosciences and Music III: Disorders and Plasticity: Ann. N.Y. Acad. Sci. 1169: 182–186 (2009). [4] Diamond, A. (2013). Executive functions. Annual review of psychology, 64, 135-168. [5] Collins, A., & Koechlin, E. (2012). Reasoning, learning, and creativity: frontal lobe function and human decision-making. PLoS Biol, 10(3), e1001293. [6] Jaschke, A. C., Honing, H., & Scherder, E. J. (2018). Longitudinal analysis of music education on executive functions in primary school children. Frontiers in neuroscience, 12, 103. [7] Kirschner, S., & Tomasello, M. (2010). Joint music making promotes prosocial behavior in 4-year-old children. Evolution and Human Behavior,31(5), 354-364


Auteurs :

Gaëlle Rouvier

Doctorante au LaPsyDÉ, Université de Paris



Indiana Wollman

Chercheuse en neurosciences

Coordinatrice de la recherche Démos, Philharmonie de Paris


Grégoire Borst

Directeur du LaPsyDÉ

Professeur de Psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation, Université de Paris


 

English version



Today is the 21st of June, The Day of Music in France. Music has a day for itself, music is celebrated and celebrated together. But why is music so important in our lives and why does it seem to favour such a sociability? What do cognitive sciences say about this strong link which is the one bounding us to music?


During the past decades, many studies in cognitive neuroscience have been interested in the impact of music training on individuals, given the myriad of capacities, skills and abilities it solicits, such as motor control, selective and sustained attention, memorisation or emotional expression. Two of the first studies which constitute landmarks in that respect were conducted in the 1990s [1][2] when scientists observed, for the first time, that the surface of certain zones of the brain were more developed in professional musician adults by comparison with those of non-musician adults. From this major discovery, another question has ensued concerning the origin of such cerebral effects: are they caused by musical practice, or are these differences there already, predisposing the individual to engage or to excel in musical practice? To address these questions, scientists have had to unfold longitudinal studies, in which they observe the brain of children several times across their musical training. These studies reveal, for instance, that the anatomy of children aged 6 can be modified during music training. Notably, this is the case for the volume of the primary motor cortex, the corpus callosum and the primary auditory cortex and this after 15 months of music training already [3]. Other studies have been interested in the cognitive effects of music training and in the development of executive functions in particular. These functions refer to a family of high-level processes that are involved in contexts in which we cannot rely on our automatisms, reflexes, intuitions, or instincts to reach our objectives. Involving executive functions appears costly for our brain, which explains our tendency to spontaneously use our routines and automatisms which are less greedy in terms of cognitive resources, including when they are not adapted to the situation [4]. There are three main executive functions in our brain: working memory, inhibition, and cognitive flexibility. Upon these three executive functions, other higher level executive functions are built: planning, problem solving and reasoning [5]. Researchers have sought to observe these functions in a musical frame. In one study in particular [6], they have been following, for 2 years and a half, four groups of children (two playing music – one group in which children had previous knowledge in music and the other in which they had not any – a third in which children were given a visual arts training and a fourth in which children had no extra-curricular activities). Researchers have measured before and after the trainings, the verbal, visuospatial and executive abilities of the children. This study reveals that through musical training, children develop their executive functions (inhibition and planning) and verbal abilities, while visual arts training seems to favour the development of visuospatial skills.


In other studies, scientists have also sought to evaluate the effect of a musical activity in group on the social skills (altruism, cooperation) of the children [7]. In children aged 4 and a half already, those who had taken part in an activity of musical synchronisation (group music) right before the scientists administered their tests to measure the social skills, showed a propensity to be more cooperative in a task of problem solving with someone else than the children in the control group (taking part in a group activity without musical synchronisation). Resultingly, it seems that musical training in group could contribute to favour prosocial behaviours in children even very young.


Studies aiming at exploring the impact of music on the cognitive and socioemotional skills are always more numerous and suggest that musical training can be a real lever to favour their development (see Hallam, 2015 for a review). These studies essentially focus on children having learned, or learning music individually, but also, more rarely, on children learning music in groups. However, no study has focused on the specific impact of a collective mode of music training on the development of these skills, by comparison with an individual one.

This is precisely what we are beginning to study at the LaPsyDE in the framework of a CIFRE PhD thesis with the program Démos of the Cité de la Musique – Philharmonie de Paris. This program aims at proposing a collective training in music to children leaving in popular urban areas (Quartiers Prioritaires de la Ville, in French) or in rural zones, in which they hardly have access to any artistic or cultural education because of economic factors or because the cultural structures are very far from where they live. Children participating in this program are aged 7 to 12. They practice music in small groups of 15, two times a week and in full orchestra every 6 weeks. As such, it is together that they learn to play and to listen to the others. In this research project, we will follow, during several years, three groups of children: one following a collective music training within Démos; the other following an individual music training in traditional French artistic schools (conservatoires); and the third in which children are not enrolled in any specific training, but can have extra-curricular activities and sometimes socialising ones such as sport in team. The objective, with these three groups, is to observe the development of three types of skills: cognitive skills that are specifically musical (such as melodies, rhythms, tempi, and timbres perception); executive processes that could be engaged in the acquisition of such musical skills (such as inhibition or selective attention in audition); and socio-cognitive skills (such as cooperation and the ability to interact with the members of an outgroup). In order to observe the effects of musical training in orchestra by contrast with an individual mode of music learning, we will measure these skills the most objectively possible at several points, using a method called accelerated longitudinal. These skills will be measured every 6 months during 2 years with two cohorts of children. One, entering in the program Démos and the other one beginning its last year in the program. This will enable to measure the effects of 3 years of collective practice of music in 2 years only.


Within the next few years, we will be able to present our first results of this ambitious study! They could have interesting outcomes in terms of learning, effects of music on social skills and impact of such a training in the struggle against socio-economic and cultural inequalities.


To go further:

- Hallam, S. (2015). “The Power of Music” [en ligne] Music Education Council. disponible

http://www.dickhallam.co.uk/resources/The%20Power%20of%20Music%202014.pdf

- Peretz, I. (2018). Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences. Odile Jacob


References :

[1] Elbert T, Pantev C, Wienbruch C, Rockstroh B, Taub E. 1995 Increased cortical representation of the fingers of the left hand in string players. Science. 270, 305–307. [2] Pantev C, Oostenveld R, Engelien A, Ross B, Roberts LE, Hoke M. 1998 Increased auditory cortical representation in musicians. Nature 392, 811–814. [3] Hyde, K.; Lerch, J.; Norton, A.; Forgeard, M.; Winner, E.; Evans, A.C.; Schlaug, G. Music and structural brain development. The Neurosciences and Music III: Disorders and Plasticity: Ann. N.Y. Acad. Sci. 1169: 182–186 (2009). [4] Diamond, A. (2013). Executive functions. Annual review of psychology, 64, 135-168. [5] Collins, A., & Koechlin, E. (2012). Reasoning, learning, and creativity: frontal lobe function and human decision-making. PLoS Biol, 10(3), e1001293. [6] Jaschke, A. C., Honing, H., & Scherder, E. J. (2018). Longitudinal analysis of music education on executive functions in primary school children. Frontiers in neuroscience, 12, 103. [7] Kirschner, S., & Tomasello, M. (2010). Joint music making promotes prosocial behavior in 4-year-old children. Evolution and Human Behavior,31(5), 354-364


Authors :

Gaëlle Rouvier

PhD student at LaPsyDE, University of Paris



Indiana Wollman

Researcher in neuroscience

Coordinator of the Demos research, Philharmonie de Paris


Grégoire Borst

Director of the LaPsyDE

Full Professor of developmental psychology and cognitive neuroscience of education, University of Paris



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