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Comprendre et réduire les inégalités éducatives dès la petite section : le rôle clé des fonctions exécutives

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    Le21duLaPsyDÉ
  • 21 juin
  • 8 min de lecture

Par Margot Rémeau & Grégoire Borst


  1. Des inégalités visibles dès l’entrée à l’école


Dès la petite section de maternelle, tous les élèves n’entrent pas dans les apprentissages dans les mêmes conditions. Plusieurs facteurs liés à leurs caractéristiques personnelles et à leur environnement familial influencent leur niveau de langage, leur compréhension des consignes ou encore leurs premiers apprentissages en mathématiques (Cioldi et al., 2025). Trois facteurs se distinguent tout particulièrement : le statut socio-économique (SES) de la famille, le trimestre de naissance et le sexe de l’élève.

Les données issues du Panel 2021 de la DEPP, qui suit plus de 35 000 élèves de l’entrée en maternelle jusqu’à la fin de la scolarité, montrent que ces facteurs sont associés aux compétences évaluées en milieu de petite section.

À 3 ans, les élèves issus de milieux sociaux défavorisés, nés en fin d’année ou de sexe masculin présentent en moyenne des scores plus faibles que leurs pairs sur des compétences langagières, mathématiques et transversales (Cioldi et al., 2025).

Par exemple, les enfants issus de milieux sociaux très favorisés réussissent significativement mieux que ceux des milieux défavorisés. Seuls 38 % des élèves nés au dernier trimestre sont capables de donner exactement trois objets sur demande, contre 70 % de ceux nés au premier trimestre. Enfin, les filles surpassent les garçons dans la majorité des items de langage. L’ampleur de ces écarts est loin d’être négligeable : l’effet du trimestre de naissance est parfois aussi marqué que celui du milieu social.

Ces constats rejoignent les résultats de la littérature scientifique internationale. Des méta-analyses (Kim et al., 2019; Liu et al., 2020; Rakesh et al., 2025; Selvitopu & Kaya, 2023; Sirin, 2005) confirment l’existence d’un lien robuste entre statut socio-économique et réussite scolaire. Des travaux montrent également que les filles obtiennent, dès le plus jeune âge, de meilleurs résultats scolaires que les garçons, en particulier en langage (Voyer & Voyer, 2014). En mathématiques, les filles devancent également les garçons à l’école maternelle et au début de l’école primaire, mais cette tendance s’inverse généralement en cours de CP, où les garçons commencent à surpasser les filles dans certaines compétences mathématiques (Eteve et al., 2025). Par ailleurs, les élèves les plus âgés dans leur classe réussissent mieux, en raison d’une plus grande maturité cognitive et émotionnelle (Givord, 2020 ; Bedard & Dhuey, 2007).




Figure 1.  Milieu social, trimestre de naissance, sexe : des déterminants précoces des apprentissages pré-académiques
Figure 1.  Milieu social, trimestre de naissance, sexe : des déterminants précoces des apprentissages pré-académiques

  1. Pourquoi ces inégalités apparaissent-elles si tôt ? Le rôle des fonctions exécutives


Pour comprendre l’origine de ces écarts, une question se pose : quels processus cognitifs pourraient expliquer que certains élèves aient plus de facilité que d’autres à entrer dans les apprentissages ? Les fonctions exécutives apparaissent comme un facteur clé pour éclairer ces inégalités précoces.

Les fonctions exécutives désignent un ensemble de processus cognitifs de haut niveau qui permettent à l’élève de réguler son comportement, ses émotions et ses pensées dans le but d’atteindre un objectif. Elles sont particulièrement sollicitées lorsqu’il faut s’adapter à une situation nouvelle, résoudre un problème ou résister à une distraction. On distingue trois fonctions dites « centrales » : la mémoire de travail, qui permet de maintenir temporairement des informations en mémoire pour les manipuler (par exemple, retenir une consigne en plusieurs étapes) ; l’inhibition, qui permet de contrôler une impulsion ou un automatisme inadapté (comme résister à l’envie de donner une réponse sans lever la main) ; et la flexibilité cognitive, qui permet de passer d’une tâche ou d’une stratégie à une autre (par exemple, changer de méthode face à un exercice inattendu). Ces capacités, qui se développent rapidement entre 2 et 5 ans, une période particulièrement sensible pour les apprentissages scolaires (Best & Miller, 2010 ; Hendry et al., 2016), jouent un rôle clé dans la réussite à l’école.

Elles soutiennent des comportements essentiels en classe : se concentrer malgré les distractions, comprendre et retenir une consigne, persévérer face à une difficulté ou encore ajuster ses actions en fonction des retours de l’enseignant (Best et al., 2011 ; Spiegel et al., 2021).

Dans le cadre de sa thèse, menée en collaboration avec la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, et sous la direction du professeur Grégoire Borst, Margot Rémeau a conduit une étude sur un échantillon de plus de 2 600 élèves de petite section, issus d’un sous-échantillon représentatif du Panel 2021, un dispositif national suivant plus de 35 000 élèves tout au long de leur scolarité. Les résultats montrent que les fonctions exécutives médient en partie l’effet du statut socio-économique, du trimestre de naissance et du sexe sur les premières compétences scolaires (Rémeau et al., article en cours d’évaluation).

Concrètement, cela signifie qu’une part des inégalités observées en langage et en mathématiques s’explique par des différences précoces dans le développement des fonctions exécutives.

Ainsi, les fonctions exécutives expliquent :

  • 23 % des écarts liés au SES, probablement en raison d’un accès différencié à des environnements stimulants (Hackman et al., 2015 ; Bradley & Corwyn, 2005) ;

  • 39 % des écarts liés au sexe, les filles présentant une maturation plus précoce de ces fonctions (Grissom & Reyes, 2019) ;

  • 51 % des écarts liés au trimestre de naissance, reflet de l’avance développementale des élèves les plus âgés (Zelazo et al., 2003 ; Hendry et al., 2016).


Ces résultats mettent en évidence le rôle central des fonctions exécutives dans la construction des inégalités scolaires, qu’elles soient liées à l’âge, au sexe ou au statut socio-économique. Elles constituent ainsi un levier explicatif transversal, capable de rendre compte de trajectoires scolaires différenciées dès les premières années d’école.



  1. Quand certains élèves réussissent contre toute attente : la résilience académique


Pourtant, tous les élèves issus de milieux défavorisés ne rencontrent pas de difficultés scolaires. Certains réussissent aussi bien, voire mieux, que leurs camarades issus de familles favorisées. Ce phénomène, connu sous le nom de résilience académique, désigne la capacité de certains élèves à maintenir des performances scolaires élevées malgré l’exposition à des facteurs de risque comme un statut socio-économique défavorisé (Masten, 2018). Il s’agit d’un concept central pour mieux comprendre l’hétérogénéité des trajectoires scolaires, et pour identifier les ressources individuelles ou contextuelles qui permettent à certains élèves de « déjouer les déterminismes sociaux » et de s’épanouir à l’école contre toute attente.

Dans une autre étude menée par Margot Rémeau et Grégoire Borst à partir de ce même panel de données, un profil d’élèves dits « résilients » a été identifié : bien qu’issus de familles à statut socio-économique défavorisé, ces élèves présentent des performances scolaires élevées dès la petite section de maternelle (Rémeau & Borst, article en cours d’évaluation). Ces élèves représentent environ un cinquième des élèves défavorisés. Leur point commun ? Ces élèves se distinguent notamment par des scores plus élevés aux tâches évaluant les fonctions exécutives, en particulier la mémoire de travail, l’inhibition et la flexibilité cognitive, comparativement aux autres élèves issus du même milieu socio-économique. Autrement dit, à conditions sociales égales, ils disposent de ressources cognitives qui semblent favoriser leur réussite scolaire précoce.

Ces fonctions exécutives pourraient ainsi jouer un rôle protecteur : en aidant les élèves à rester concentrés, à s’adapter aux exigences scolaires et à gérer leurs émotions, elles leur permettent de compenser, au moins en partie, les désavantages socio-économiques.

Ces résultats renforcent l’intérêt de mettre en place des actions éducatives précoces ciblant les fonctions exécutives, en particulier dans les écoles maternelles relevant de l’éducation prioritaire. Bien que ces capacités soient reconnues comme malléables, toutes les interventions ne produisent pas les mêmes effets, notamment en ce qui concerne le transfert vers les apprentissages scolaires (Gunzenhauser & Nückles, 2021; Kassai et al., 2019;  Muir et al., 2024). Les recherches actuelles s’attachent ainsi à identifier les modalités les plus efficaces, en termes de durée, de contenu et de contexte, pour renforcer durablement ces compétences et, à terme, réduire les inégalités dès le début de la scolarité.


En conclusion


Les inégalités scolaires liées au statut socio-économique, au sexe ou au trimestre de naissance ne sont ni figées ni inéluctables. Elles s’enracinent en partie dans des différences précoces de développement cognitif, notamment au niveau des fonctions exécutives. En repérant ces écarts dès les premières années de scolarité, et en concevant des pratiques pédagogiques adaptées, l’école peut devenir un levier puissant pour promouvoir l’égalité des chances.

En croisant les apports de la recherche et de l’action éducative, cela ouvre la voie à des actions précoces et efficaces pour accompagner tous les élèves dans leurs apprentissages, quels que soient leur milieu d’origine, leur mois de naissance ou leur genre. Car comprendre les mécanismes des inégalités, c’est déjà commencer à les réduire.




Pour aller plus loin :


Bedard, K., & Dhuey, E. (2007). Is September better than January? The effect of minimum school entry age laws on adult earnings. https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=c866a4d7f223e56c787d3e21ccc137d6fce4354c


Best, J. R., & Miller, P. H. (2010). A developmental perspective on executive function. Child Development, 81(6), 1641–1660. https://doi.org/10.1111/j.1467-8624.2010.01499.x


Best, J. R., Miller, P. H., & Naglieri, J. A. (2011). Relations between executive function and academic achievement from ages 5 to 17 in a large, representative national sample. Learning and Individual Differences, 21(4), 327–336. https://doi.org/10.1016/j.lindif.2011.01.007


Bradley, R., & Corwyn, R. (2005). Caring for children around the world: A view from HOME. International Journal of Behavioral Development, 29(6), 468–478. https://doi.org/10.1177/01650250500146925


Cioldi, I., Rémeau, M., Schmitt, P., Garnero, M., & Thumerelle, J. (2025). En petite section de maternelle, des acquis plus solides pour les élèves nés en début d’année et pour les filles.


Eteve. Y., Garnero. M., Paillet. V. (2025). Évolution des écarts de performances entre filles et garçons en mathématiques, au fil du temps et de la scolarité, Note d'Information, n° 25-04, DEPP. https://doi.org/10.48464/ni-25-04


Givord, P. (2020). How a student’s month of birth is linked to performance at school: New evidence from PISA. OECD Education Working Papers, 221. https://doi.org/10.1787/822ea6ce-e


Grissom, N. M., & Reyes, T. M. (2019). Let's call the whole thing off: Evaluating gender and sex differences in executive function. Neuropsychopharmacology, 44(1), 86–96. https://psycnet.apa.org/doi/10.1038/s41386-018-0179-5


Gunzenhauser, C., & Nückles, M. (2021). Training executive functions to improve academic achievement: Tackling avenues to far transfer. Frontiers in Psychology, 12, 624008.


Hackman, D. A., Gallop, R., Evans, G. W., & Farah, M. J. (2015). Socioeconomic status and executive function: Developmental trajectories and mediation. Developmental Science, 18(5), 686–702. https://doi.org/10.1111/desc.12246


Hendry, A., Jones, E. J., & Charman, T. (2016). Executive function in the first three years of life: Precursors, predictors and patterns. Developmental Review, 42, 1–33. https://doi.org/10.1016/j.dr.2016.06.005


Kassai, R., Futo, J., Demetrovics, Z., & Takacs, Z. K. (2019). A meta-analysis of the experimental evidence on the near-and far-transfer effects among children’s executive function skills. Psychological bulletin, 145(2), 165.


Kim, Y., Li, T., Kim, H. K., Oh, W., & Wang, Z. (2023). Socioeconomic status and school adjustment trajectories among academically at-risk students : The mediating role of parental school-based involvement. Journal of Applied Developmental Psychology, 87, 101561. https://doi.org/10.1016/j.appdev.2023.101561


Liu, J., Peng, P., & Luo, L. (2020). The Relation Between Family Socioeconomic Status and Academic Achievement in China : A Meta-analysis. Educational Psychology Review, 32(1), 49‑76.


Masten, A. S. (2018). Resilience theory and research on children and families: Past, present, and promise. Journal of Family Theory & Review, 10(1), 12–31. https://doi.org/10.1111/jftr.12255


Muir, R. A., Howard, S. J., & Kervin, L. (2024). Supporting early childhood educators to foster children's self-regulation and executive functioning through professional learning. Early Childhood Research Quarterly, 67, 170-181.


Rakesh, D., Lee, P. A., Gaikwad, A., & McLaughlin, K. A. (2025). Annual Research Review : Associations of socioeconomic status with cognitive function, language ability, and academic achievement in youth: a systematic review of mechanisms and protective factors. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 66(4), 417‑439. https://doi.org/10.1111/jcpp.14082


Selvitopu, A., & Kaya, M. (2023). A Meta-Analytic Review of the Effect of Socioeconomic Status on Academic Performance. Journal of Education, 203(4), 768‑780. https://doi.org/10.1177/00220574211031978


Sirin, S. R. (2005). Socioeconomic Status and Academic Achievement : A Meta-Analytic Review of Research. Review of Educational Research, 75(3), 417‑453.


Spiegel, J. A., Goodrich, J. M., Morris, B. M., Osborne, C. M., & Lonigan, C. J. (2021). Relations between executive functions and academic outcomes in elementary school children: A meta-analysis. Psychological Bulletin, 147(4), 329. https://doi.org/10.1037/bul0000322


Voyer, D., & Voyer, S. D. (2014). Gender differences in scholastic achievement: A meta-analysis. Psychological Bulletin, 140(4), 1174-1204. https://doi.org/10.1037/a0036620


Zelazo, P. D., Müller, U., Frye, D., Marcovitch, S., Argitis, G., Boseovski, J., Chiang. J.K., Hongwanishkul. D., Schuster. B.V., Sutherland. A., & Carlson, S. M. (2003). The development of executive function in early childhood. Monographs of the Society for Research in Child Development, 68(3), i–151. https://doi.org/10.1111/j.0037-976x.2003.00260.x




Auteurs :

Doctorante au LaPsyDE
Professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation et Directeur du LaPsyDE



 
 
 

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