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C'est (pas) moi, c'est mon cerveau ! : interview avec Grégoire Borst et Mathieu Cassotti

Grégoire Borst est professeur de psychologie du développement à l'Université Paris Cité et directeur du LaPsyDÉ. Mathieu Cassotti est professeur de psychologie du développement à l'Université Paris Cité. Ensemble, ils ont décidé d'écrire un nouvel ouvrage afin d'aider les adolescents à mieux comprendre leur cerveau. A l'occasion de la sortie de ce livre, le 21 du LaPsyDÉ les a interviewé pour vous.




Comment est née l’idée de ce livre ? Quel était pour vous l’objectif principal derrière cet ouvrage ?


Grégoire : Notre projet de rédaction de ce livre vient avant tout d’une demande qui nous a été adressée de la part des enseignants. Suite à la sortie des livres le Kididoc - Explore ton cerveau ainsi que Mon cerveau - Questions réponses, qui concernent surtout la période de l’enfance, des enseignants nous ont exprimé leur intérêt pour un ouvrage qui s’intéresse à des questions similaires mais qui aborde plutôt la période de l’adolescence.


Mathieu : Notre objectif était ainsi de rédiger un ouvrage accessible aux adolescents et qui leur permette de comprendre le fonctionnement de leur propre cerveau. Nous avons alors cherché à inclure à la fois des situations concrètes de la vie quotidienne des adolescents et des expériences scientifiques réalisées en psychologie et en neurosciences. L’enjeu pour nous était de leur présenter des résultats scientifiques tout en restant accessibles.



Quelles sont les spécificités de l’adolescence ou les modifications qui caractérisent la période de l’adolescence sur lesquelles vous mettez l’accent dans votre ouvrage ?


Grégoire : Nous abordons des questions très différentes. Nous parlons certes de la question du changement - le changement physique ainsi que le changement au niveau cérébral - mais aussi de questions diverses allant de la prise de décision à la régulation des émotions, en passant par les fake news, jusqu’à la créativité.


Mathieu : Nous abordons non seulement les thématiques classiques de l’adolescence, mais aussi des thématiques qui sont plus rarement traitées ailleurs et sur lesquelles nous travaillons dans notre laboratoire. Il ne s’agit donc pas uniquement d’un ouvrage sur le cerveau des adolescents, mais aussi d’un ouvrage qui répond à des questions concrètes des adolescents.


Il s’agit de questions que les adolescents se posent eux-mêmes, de problématiques sur lesquelles ils réfléchissent directement ? Ou est-ce qu’ils n’en ont pas nécessairement conscience ?


Mathieu : Les adolescents se posent beaucoup de questions sur ce qui se passe dans leur cerveau. Ils se demandent pourquoi ils ressentent les choses de telle ou telle façon, pourquoi ils ont agi ou réagi de telle manière, donc, en effet, ils s’interrogent beaucoup sur eux-mêmes et sur les changements qu’ils constatent.


Grégoire : On peut dire qu’il y a deux niveaux. Il y a la question du changement qu’ils constatent bien au niveau de leur corps. De même, ils sentent bien qu’ils ont des difficultés dans la régulation de leurs émotions puisqu’ils expérimentent cela très fréquemment. Mais il existe aussi des questions qu’ils ne se posent pas nécessairement de façon directe. Elles sont pourtant des problématiques essentielles à aborder, voire des enjeux de santé publique. Il s’agit par exemple de l’engagement dans des conduites à risque. De la même manière, il est fondamental d’aborder les problématiques relatives à l’exposition aux écrans, aux fausses informations, ou encore à la consommation de drogues et d’alcool.

L’originalité de ce livre réside aussi dans le fait de ne pas uniquement parler de l’adolescence en tant que période de vulnérabilité, mais aussi en tant que période d’opportunités, surtout qu’elle est beaucoup moins souvent abordée sous cet angle-là. C’est pour cela que nous avons parlé, par exemple, de la créativité. Les travaux que Mathieu effectue sur ce sujet montrent qu’il existe une multitude d’opportunités durant l’adolescence.

Image 1. Mathieu Cassotti et Grégoire Borst présentent leur nouveau livre


Au-delà de la créativité, quels sont les aspects positifs de l’adolescence que vous abordez ?


Mathieu : Les adolescents ont par exemple un fort intérêt pour les relations sociales. Il y a aussi, à l’adolescence, un développement de la générosité, de l’altruisme, et cela est rarement évoqué. L’adolescence est aussi la période de la découverte de l’amitié, de l’amour, avec tout un ensemble d’émotions positives. Le regard d’adulte que nous portons sur l’adolescence est biaisé et nous avons tendance à nous focaliser exclusivement sur les aspects négatifs de cette période.


Grégoire :

Il était donc important pour nous de montrer que, sur tout un ensemble de domaines, l’adolescence se caractérise par des risques et des vulnérabilités mais aussi par des opportunités.

Par exemple, l’adolescence est une période durant laquelle nous sommes très influencés par le contexte social, et cette influence du contexte social peut avoir des effets négatifs mais aussi des effets positifs. Par exemple, le cerveau adolescent réagit beaucoup plus fortement que le cerveau adulte à l’injustice. Cela relève presque d’une souffrance sociale puisque les régions cérébrales impliquées dans ce sentiment d’injustice sont très proches de celles de la souffrance physique. Cette réactivité si particulière à l’injustice pourrait expliquer pourquoi les grands engagements sociaux et politiques se forgent à l’adolescence. L’adolescence n’est donc pas uniquement une période de vulnérabilité.


Ce livre est destiné aux adolescents, mais il est aussi destiné aux parents. Qu’est-ce qu’il pourrait leur apporter spécifiquement ?


Mathieu : Notre idée est qu’il les aide avant tout à prendre le point de vue de l’adolescent pour mieux comprendre ses spécificités. Par exemple, nous avons tendance à penser que les adolescents ne sont pas capables de raisonner. La recherche en laboratoire a montré au contraire qu’ils étaient parfaitement capables de penser et de prendre des décisions adaptées. En revanche, certains contextes sociaux vont effectivement avoir une influence critique sur leurs décisions et les conduire à prendre plus de risque pour rechercher des récompenses immédiates. En prenant conscience de ce qui se passe dans leur cerveau, les adultes comme les adolescents eux-mêmes pourront mieux comprendre leurs comportements. Nous espérons que cette compréhension permettra de faciliter la relation entre les parents et les adolescents. Cela est important pour maintenir le dialogue, d’autant plus que les parents ont souvent aussi raison. Par exemple sur la question de la consommation du cannabis ou de l’alcool, il y a des injonctions qui sont données de la part des parents, de façon parfois très intuitive, mais qui correspondent à des vérités, et qu’il faut aussi dire à l’adolescent.


Grégoire : Il y a en effet une nécessité d’avoir des connaissances partagées. On voit bien qu’en ce qui concerne le cerveau adolescent, les connaissances sont insuffisantes, à la fois chez les adolescents et chez les adultes. C’est frappant de voir à quel point les adolescents connaissent peu de choses sur leur cerveau, sur ce qui explique leurs comportements et leurs difficultés, y compris le mal-être qu’ils peuvent parfois ressentir. Il est donc nécessaire d’en parler avec eux, mais aussi de communiquer ces connaissances aux parents afin de les aider à mieux comprendre leur adolescent. Par exemple, les parents disent souvent aux adolescents qu’il faut aller se coucher tôt, mais il s’agit aussi de garder à l’esprit que lorsque les adolescents disent qu’ils ne sont pas fatigués alors qu’il est 22h, c’est parce qu’il y a un décalage de deux heures du pic de la mélatonine dans leur cerveau par rapport à ce qui est observé chez l’enfant, et que ce décalage fait qu’ils sont en effet moins fatigués. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas mettre en place une routine de sommeil, mais cela peut aider les parents à adapter leur parentalité dans cette période de la vie de leur enfant. Il y a aussi la question de l’alcool, qui tend à être considéré dans notre société comme étant très différent des autres substances, alors que l’alcool a des effets extrêmement délétères sur un cerveau en développement. Or, il est assez fréquent que des adolescents consomment de l’alcool avec leurs parents. Il y a donc un véritable enjeu d’éducation à la parentalité autour de ces questions-là, auquel ce livre essaie de contribuer.


Parlons maintenant des enseignants. Vous travaillez beaucoup avec les enseignants, pour essayer de créer un pont entre la communauté scientifique au laboratoire et la communauté pédagogique en classe. Quels sont les éclairages que ce livre pourrait apporter sur ce qui se passe dans le milieu scolaire ? Comment pourrait-il aider les enseignants dans leur rapport aux collégiens ou aux lycéens ?


Mathieu : Ce qui s’applique aux parents s’applique en grande partie aux enseignants, car même si les enseignants commencent à être formés à la compréhension du cerveau des enfants et des adolescents, il reste des lacunes à ce niveau, avec de nombreuses idées reçues. On espère que cet ouvrage pourra ainsi aider les enseignants et les élèves à se comprendre. On aimerait beaucoup que les adolescents parviennent, sur la base de ce livre, à « justifier » certaines choses à leurs enseignants, par exemple quand ils découvrent que leur difficulté à se contrôler est liée à un contrôle inhibiteur qui n’est pas optimal. Ce livre peut ainsi susciter des débats entre les adultes et les adolescents et les aider à argumenter sur la base de ce que disent les sciences cognitives. Il peut aussi aider les enseignants à comprendre qu’ils font partie de l’aide dont ont besoin les adolescents pour apprendre à se réguler.

Le cerveau ne se développe pas tout seul, il se développe dans l’interaction, et nous, adultes, éducateurs, avons un rôle clé pour aider l’adolescent à apprendre à mieux définir, comprendre et maitriser ses émotions.

Grégoire : Il faut également rappeler que les enseignants sont aussi en charge aujourd’hui de l’orientation des collégiens et des lycéens. Or, l’orientation implique la capacité à faire des choix éclairés ; et, de par la forte sensibilité des adolescents au contexte social, leurs choix peuvent être très influencés par ceux de leur milieu familial, mais aussi de leurs camarades. Ce livre cherche à donner une certaine forme de libre arbitre aux adolescents, tout en sensibilisant les enseignants à ces questions-là. Par exemple, l’orientation gagnerait à ne pas être toujours travaillée en groupe, vu que le conformisme social est important à l’adolescence. On sait aussi que les adolescents sont plus orientés vers les récompenses immédiates, et cela peut avoir des incidences sur leurs choix d’orientation. Il y a un vrai travail à faire avec l’adolescent sur le choix d’orientation. L’orientation choisie découle dans un premier temps d’une connaissance de soi-même, il s’agit ensuite de la construction d’un objectif sur le long terme, et puis d’une réflexion sur ce qui doit être mis en place pour atteindre cet objectif. Il faut réussir à se projeter dans le futur, ce qui est complexe pour un adolescent. En avoir conscience permet de mieux l’accompagner dans ce processus.


Vous abordez dans ce livre des problématiques très différentes. Prenons-en une, par exemple la prise de risque. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui explique la prise de risque fréquente chez les adolescents ?


Mathieu : D’abord, il est important de briser une idée reçue. Comme nous le montrons dans l’ouvrage, les adolescents sont capables de prendre en compte les conséquences positives et négatives de leurs actions, et ils peuvent, quand on les place dans une situation de laboratoire, raisonner à peu près aussi bien que le font les adultes. Par contre, quand on les place dans un contexte social, cela va surstimuler leur réseau de la récompense. Ils se focalisent alors davantage sur les récompenses immédiates que sur les conséquences négatives futures. Ainsi, dans de tels contextes, la prise de risque des adolescents peut augmenter. Pour faire simple, quand ils sont seuls – ce que les pédagogues ont déjà intuitivement constaté – ils ne prennent pas plus de risques que les adultes. En revanche, dès lors qu’ils se retrouvent en groupe, il y a une augmentation de cette prise de risque, qui est liée à la suractivation de leur réseau de la récompense et à une difficulté à se contrôler.


Concrètement, comment abordez-vous de telles thématiques dans votre ouvrage ?


Grégoire : Nous partons d’une situation réelle que pourraient rencontrer les adolescents dans leur vie quotidienne. Pour la prise de risque, le chapitre s’ouvre sur le journal intime d’une adolescente qui rapporte une situation classique de prise de risque en groupe à l’adolescence. Et on termine par une situation où les adolescents s’auto-évaluent sur le domaine de la prise de risque (est-ce qu’ils ont tendance à s’engager plus ou moins fortement dans les conduites à risque). Nous avons cherché à proposer cette auto-évaluation sur tout un ensemble de domaines, l’idée étant de permettre aux adolescents de se positionner, et, potentiellement, d’aller rechercher de l’aide s’ils en ressentent le besoin. Il y a en effet un double enjeu quand on s’adresse aux adolescents : de leur donner des clés de compréhension de leur comportement, mais aussi de pouvoir, sur la base de cette compréhension, les inciter à aller demander de l’aide si besoin.


Votre livre s’intitule C’est (pas) moi, c’est mon cerveau. Pour quelle(s) raison(s) mettez-vous le « pas » entre parenthèses ?


Grégoire : Parce qu’il est très important de garder à l’esprit que, s’il est plus difficile de se réguler à l’adolescence, cela n’ôte pas aux adolescents toute responsabilité. Certes, si on les place dans des situations de frustration ou d’injustice, si l’on crée des contextes particulièrement saillants émotionnellement, dans lesquels ils passent leur temps à gérer des frustrations, nous avons là tous les ingrédients pour avoir des problématiques comportementales, y compris dans les établissements scolaires. L’enjeu est donc aussi d’essayer de créer un environnement propice afin que les adolescents puissent se réguler. Mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas la capacité de se réguler.


Mathieu : En effet, l’idée n’est pas qu’ils terminent ce livre en se disant « je n’y suis pour rien, ce sont les caractéristiques de mon cerveau ». Ils restent effectivement des individus capables de faire des choix, de penser et de raisonner. Il ne s’agit donc pas de les déresponsabiliser.



Pour clôturer, à votre avis, si vous aviez lu cet ouvrage quand vous étiez adolescent, qu’est-ce que cela vous aurait changé ?


Grégoire : Je pense qu’il faut avoir de l’humilité dans ce contexte là. Est-ce que ce type d’ouvrages peut fondamentalement transformer le rapport des adolescents à leur consommation de stupéfiants par exemple, je n’en suis pas totalement persuadé. Est-ce que si nous avions lu ce livre étant adolescents, cela aurait fondamentalement influencé notre comportement, probablement pas. Mais ce livre permet une meilleure compréhension de cette période de la vie. Nous renvoyons de façon assez systématique aux adolescents, parfois sans nous en rendre compte, qu’ils sont en confrontation et en opposition permanentes avec nous, qu’ils n’arrivent pas à se contrôler etc.

Si nous arrivons aussi à percevoir cette période comme une période de progrès, de grandes opportunités, et de renvoyer aussi cette image valorisante aux adolescents, je crois que cela serait déjà un énorme progrès.




Auteurs :

Grégoire Borst

Professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l'éducation, Directeur du LaPsyDÉ, Université Paris Cité



Mathieu Cassotti

Professeur de psychologie du développement, LaPsyDÉ, Université Paris Cité




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